De la nomination de Michel Barnier à Matignon
- francoishada
- 6 sept. 2024
- 3 min de lecture
Nommer un premier ministre n’est pas un jeu. Ces 50 jours de communication politique ont paru bien longs tout en maintenant un faux suspens. Ils dessinent la tactique du Président de la République (PR).
Certains objectent, à tort ou à raison, que le PR pouvait nommer Michel Barnier dès les résultats des législatives.
Imaginons ce scénario… A la victoire relative du Nouveau Front Républicain, le PR annonce Michel Barnier à Matignon ! A l’incompréhension et la stupéfaction aurait succédé la rigidification des positions des partis politiques, en particulier le RN. Pour faire accepter son premier ministre, le PR pose la condition de la stabilité, suggérant implicitement que tout groupe qui censurerait le futur gouvernement serait fautif de chaos institutionnel. Puis il engage une narration. Endossant un rôle qui n’est pas le sien, ce que personne n’est allé contester, il se positionne en arbitre entre les parti(e)s. Puis, feignant la reconnaissance que le NFP est sorti vainqueur de ce scrutin, il regarde à gauche et refuse de considérer LFI, ce que personne ne conteste non plus, hormis LFI. Le point d’équilibre entre sa présidence et l’Assemblée nationale, se trouve donc à la frontière entre la gauche et le centre-droit (car le centre n’est ni de gauche ni de gauche). Dans le fond, chacun comprend vite que cette solution n’est pas stable: la gauche avec LFI serait censurée, la gauche sans LFI n’aurait pas les moyens de gouverner, sans parler de la fracture traversant le NFP. Par ailleurs, le PR ne peut concéder une telle victoire de la gauche qui risquerait de morceler les rangs de Renaissance. La gauche, elle, ne peut prendre le risque de ne gouverner que quelques jours, ce qui l’affaiblirait pour 2027, mais elle doit dans le même temps démontrer qu’elle revendique la victoire et la légitimité à former un gouvernement. LFI ira jusqu’à renoncer à des portefeuilles ministériels, pour acculer le PR à refuser un gouvernement de gauche. En réalité, chacun veut préserver 2027.
Au constat donc qu’une solution à gauche n’est pas viable, le PR fait peu à peu glisser le curseur vers la droite, en passant par Xavier Bertrand et quelqu’un autres noms sacrifiés sur l’autel de la trajectoire de sa négociation. Puis il atteint son nouveau point d’équilibre, Michel Barnier, nom qui ne paraît alors plus si hors sol que cela après le nom de David Lisnard, le très à droite maire de Cannes.
En somme, Emmanuel Macron s’est donné une narration de 50 jours pour passer d’un verdict le donnant perdant et le NFP vainqueur des législatives, pour cheminer vers une solution à la frontière entre extrême droite et droite, où il partage la défaite avec la droite et force le RN à décider de l’espérance de vie du gouvernement… Mais le critère de stabilité institutionnelle étant admis, avec la nomination d’une personne dont les idées entrent (trop) en écho avec celles du RN, ce dernier ne peut censurer automatiquement ce gouvernement et doit afficher qu’il y réfléchira à deux fois, pour ne pas passer pour le fauteur mécanique de désordre. Lors du vote du budget, il pourra négocier quelques amendements, mais il lui sera bien difficile de s’y opposer sans susciter l’incompréhension de toute ou partie de son électorat.
Ainsi le PR se dote d’une majorité hors RN et mise sur les hésitations de ce dernier pour faire passer un budget et tenir une année autant que possible. Il pourra alors soit redevenir triomphant puisque son programme aura été appliqué, soit dénoncer ces partis anti républicains aveugles à la réalité et prêts à semer le chaos pour des ambitions personnelles.

Le PR est-il ce calculateur? Peut-être. Voilà qui coïncide assez mal ou trop bien avec la dissolution de l’Assemblée nationale, qu’il faut sans doute mettre davantage sur le compte d’une erreur (d’autres mots décrivent cette décision mais restons polis) que d’un calcul à si longue portée. L’hubris est peut-être la source de cette dissolution.
Mais une fois l’échec de cette campagne acté, le PR a cherché à sauver ses meubles. Et la rumeur dit que le PR et Michel Barnier étaient en lien depuis début juillet 2024. Mais ce n’est qu’une rumeur. La nomination d’un premier ministre n’est pas un jeu. D’ailleurs, les ennuis commencent.
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